vendredi, avril 20, 2007

Virginia Tech

Le texte est trop excellent, je le reproduis au complet, de peur que Cyberpresse en coupe l'accès dans le futur.
À la une de tous les journaux, le visage agressif, décidé, de Cho Seung-hui, regarde fixement le monde. Ses mains gantées de noir, serrant des pistolets menaçants, évoquent l'image bouleversante d'un Rambo. Voici un homme qui ne lésine pas: un tueur terrifiant, assuré, qui veut tirer le monde de sa torpeur. «Je meurs comme Jésus-Christ pour inspirer des générations de faibles sans défense», disait-il dans la vidéo expédiée à NBC. Cho est l'antihéros, le sauveur, l'homme fort.

Où avons-nous vu cette image auparavant? Nous la voyons partout dans la culture populaire. Des films de kung-fu associant la violence extrême, la destruction et la virilité au genre Superfly truffé de dominance sexuelle, nos jeunes hommes s'alimentent à une diète d'images qui communiquent un lien direct entre les armes à feu, la domination et la masculinité.

Comment ces créatures du cinéma ont-elles pu capter à ce point l'imagination d'un jeune homme perturbé et asocial vivant en marge du monde universitaire? Dans la vraie vie, Seung-hui ne pouvait soutenir le regard de ses professeurs ou de ses collègues étudiants. Il parlait en chuchotant. Il était invisible. Le modèle d'antihéros si fort, si supérieur, était en réalité l'antithèse de la vie qu'il menait. Voilà pourquoi il voyait dans ce modèle la solution à son plus grand problème: il voulait s'extirper de la personne qu'il était et s'insérer dans le personnage qui représente le mâle dangereux, séduisant et vertueux.

Cela bouleversera plusieurs lecteurs mais pour les spécialistes en sciences sociales qui étudient les tueries dans les écoles, c'est une complainte connue. Mitchell Jones, un garçon de 13 ans, et Andrew Golden, son copain de 11 ans, ont assassiné quatre élèves et un enseignant et en ont blessé plusieurs autres dans leur école de l'Arkansas en 1997. Après avoir déclenché une alarme d'incendie, postés sur une colline surplombant l'école, ils ont ouvert le feu avec leurs carabines pendant qu'élèves et enseignants sortaient de l'édifice.

Cachés dans les bois, vêtus d'une tenue militaire, ils adoptaient le modèle de l'homme fort. Ont-ils songé aux conséquences de leur geste? Ont-ils pensé aux vies qu'ils allaient éteindre, aux familles qui vivraient le deuil, ou même à leur propre avenir derrière les barreaux? Non. Mitchell et Andrew s'imaginaient pouvoir se cacher dans la forêt pendant une semaine ou deux et par la suite revenir à l'école, où ils seraient accueillis comme des gars «cool».

D'autres jeunes tueurs que j'ai interviewés n'imaginaient pas les séquelles parce qu'ils étaient certains de mourir. Ils se placeraient dans le champ de tir des policiers ou se suicideraient, comme Cho, dans une flambée de notoriété. Ils auraient les 15 minutes ou les quelques semaines de célébrité qui leur avaient été refusées durant toutes ces années d'invisibilité ou de rejet. Ils visualisaient toutes ces caméras de télévision diffusant leurs visages de Rambo autour du monde et ils se sentaient bien: forts, supérieurs. Et ils imaginaient le soulagement, la libération d'une dépression et d'une paranoïa incessantes, des voix criant dans leur tête, du sentiment quotidien d'échec qui résulte de l'incapacité de s'intégrer, de l'incapacité de se faire une petite amie ou de maîtriser un sport.

Les tireurs dans les écoles règlent les problèmes de la façon la plus macabre. Ils tentent d'incarner un personnage qui contredit la perception de leurs pairs. Ils s'accrochent à un scénario qui flotte dans les miasmes de la culture populaire et travaillent en heures supplémentaires pour l'assumer. Une tuerie dans une école ne se produit jamais spontanément. Elle couve pendant des mois dans un brouillard d'indices qui rend difficile les prédictions. Plus il émettait d'avertissements - des écrits effrayants, des photos bizarres, chuchotement d'étranges commentaires fragmentaires - plus les gens s'intéressaient à Cho.

Michael Carneal, assassin de trois jeunes femmes d'un groupe de prières, rassemblées dans le foyer de son école secondaire, ne réussissait pas à attirer l'attention de ses pairs en adoptant un comportement conventionnel. Ils lui tournaient le dos, roulaient des yeux, selon la mode étudiante, quand il jouait des tours aux autres, comme cette fois où il colla sa gomme à mâcher dans les cheveux d'un collègue.

Rien ne fonctionnait pour Michael, jusqu'au jour où il commença à parler d'abattre des gens. C'est là qu'il a commencé à se rapprocher de l'objectif qu'il convoitait par-dessus tout: des amis qui s'intéresseraient à lui, des gens qui le trouveraient «cool» s'il s'habillait en trench-coat et exhibait quelques fusils.

Les tireurs dans les écoles tentent de changer ce que les gens disent d'eux ou, dans le cas de Cho, de créer un souvenir qui contraste totalement avec la perception qu'on avait de lui dans la vraie vie. Il est tragique que cette issue soit la seule qui le satisfasse - l'antihéros meurtrier qui «sauve le monde» en tuant le plus d'humains possibles.

L'antihéros, Katherine S. Newman, 20 avril 2007

L'auteure est professeure de sociologie à l'Université de Princeton. En 2004, elle a publié une étude fouillée des tueries commises dans les écoles (Rampage : The Social Roots of School Shootings).
J'allais pour ma part bloguer quelque chose du genre: amok, personne en parle, blablabla. Pas poche, mais un texte, surtout de cette trempe, c'est bien mieux. Notez que la contrepartie française de l'intitulé Wiki commence par une fausseté et est beaucoup plus courte.

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